La Villa Mon Repos par Daniel Robert

Depuis plusieurs années Boréalis, en collaboration avec les Bibliothèques, propose aux citoyens des conférences ayant pour sujet l’histoire de Trois-Rivières et du Québec. Cet article de blogue est tiré d’une de ces conférences.

Lorsque j’étais jeune, dans les années 1960, j’entendais parfois mes parents et mes grands-parents évoquer les noms de certains lieux comme le Centre des loisirs Sainte-Cécile, le Beau-Vallon, la Villa Mon Repos. Les deux premiers ne m’étaient pas inconnus car mes parents m’y amenaient lors des beaux jours d’été : le premier, en Banlieue, où on se baignait dans le fleuve Saint-Laurent ; le second, à la Pointe-du-Lac, où l’étang était entouré de petits chalets. Mais le troisième ? Qu’en était-il de la Villa Mon Repos ? On évoquait son nom plutôt comme un vague souvenir. Du haut de mes cinq ans, je me demandais pourquoi on n’y allait pas. Puis, la question sans réponse est tombée dans l’oubli, comme la Villa elle-même.

À vrai dire, dans les années 1960, moins de 30 ans après sa fermeture, la Villa Mon Repos n’était pas seulement tombée dans l’oubli, elle était totalement disparue. Dans la littérature, quelques brides, de temps à autres ; jamais d’historique complet. Jusqu’à ce que le journaliste Claude Bruneau, ancien du journal Le Nouvelliste, publie le résultat de ses recherches dans Le Nouveau Mauricien en 2001. Cette excellente recherche a été un bon point de départ pour poursuivre plus avant notre curiosité.

Mais qu’était donc la Villa Mon Repos ? Située au bord de la rivière Sainte-Marguerite (nommée officiellement « rivière Milette » depuis 1978) et à quelques dizaines de mètres derrière l’Institut secondaire Keranna, boulevard des Chenaux, la Villa Mon Repos était un domaine champêtre, un lieu de villégiature privé où se rencontraient les plus grandes familles bourgeoises de Trois-Rivières entre 1895 et 1932. L’immense domaine a été acquis par les Filles de Jésus le 12 mars 1936. Dans la partie nord, au-delà du site où se trouvaient les chalets et le lac, les religieuses y ont inauguré Keranna le 7 août 1962.

En avril 1895, un groupe d’hommes d’affaires de Trois-Rivières projette de créer un centre de villégiature, le plus important « summer resort » (station estivale) du Canada, pour la « bonne société trifluvienne ». La moitié du conseil d’administration est formée de membres de la grande famille Dufresne, propriétaire du meilleur hôtel de la ville, sur la rue du Fleuve. Le Cercle Villa Mon Repos est dûment incorporé le 1er juin 1895. La requête stipulait que l’intention des requérants était de « former une association dans un but de récréation et d’instruction pour l’esprit et de délassement pour le corps ».

Dans son contrat, le Cercle Villa Mon Repos a reçu l’autorisation de construire digues, chaussée, écluses et bâtisses. Les abords de la rivière sont défrichés, puis un barrage est érigé afin de retenir une partie de l’eau de la rivière et, ainsi, constituer un étang artificiel. Une vingtaine de petits chalets, divers bâtiments de service, ainsi qu’un kiosque à fanfare et même une tour d’observation sont bâtis. Nous avons pu retrouver onze noms de chalets et neuf de ces chalets ont été identifiés sur des photos.

La Villa Mon Repos est – dit-on à l’époque – un endroit enchanteur, entouré d’un superbe boisé formé de pins, mélèzes et bouleaux, de bocages, de bosquets, de verdure parfumée, agrémenté « de sentiers où l’on aime à promener ses rêveries et à étouffer son cafard ». Il y a des fleurs et fruits sauvages à profusion : violettes blanches, senelles, gadelles, bleuets, fraises.
Le Cercle Villa Mon Repos comptait une quarantaine de membres à vie qui se recrutaient parmi « la bonne société trifluvienne ». Ils étaient donc, pour la plupart, des hommes d’affaires, des professionnels et des hommes politiques.

À partir de 1925, la Villa Mon Repos perd rapidement de son attrait. Plusieurs autres centres de villégiature ont vu le jour en Mauricie, notamment à Baie-Jolie et à Champlain, et la Villa Mon Repos n’a plus la cote de popularité. Les membres commencent à éprouver des difficultés à payer leurs taxes. En janvier 1930, le Cercle est clairement décidé à vendre sa propriété.

La dernière réunion des actionnaires du Cercle Villa Mon Repos a lieu le 18 avril 1932. Des avis de dissolution sont publiés dans divers journaux, puis la déclaration de dissolution du Cercle est signée le 27 juillet 1932.

Le 12 mars 1936, le domaine est vendu à la Congrégation des Filles de Jésus. Lors de l’ouverture de l’Institut familial Keranna, en septembre 1962, le barrage avait déjà fini par céder complètement et il n’y avait plus de lac.

Depuis cette époque, de nouveaux arbres ont poussé et – comme on dit souvent – la nature a repris ses droits. Il ne reste plus rien de la Villa Mon Repos, sauf quelques vestiges du barrage.

Je comprends mieux aujourd’hui pourquoi mes parents ne m’ont jamais amené à la Villa Mon Repos. Je crois même qu’ils ne s’y sont rendus eux-mêmes : ils ne faisaient pas parti de la haute classe.

Et si chaque histoire n’était qu’un point de départ ? Une invitation à explorer les récits fondateurs qui ont façonné notre territoire. Après La Villa Mon Repos, qui vous plonge dans les secrets bien gardés de Trois-Rivières, découvrez une autre facette de notre passé avec l’article Robert de Lonvilliers : premier commandant de Trois-Rivières signé par Alain Gervais. Une rencontre avec les racines mêmes de notre histoire locale trifluvienne.

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