Au cœur du centre-ville de Trois-Rivières, une maison ancienne résiste au passage du temps depuis près de quatre siècles. Le Manoir Boucher de Niverville, le plus vieux manoir de la ville, est bien plus qu’un bâtiment patrimonial : il est le reflet d’un territoire en mouvement et le témoin silencieux de récits familiaux. Ce lieu, chargé de mémoire et de caractère, continue d’habiter le présent. En y entrant, on découvre bien plus qu’une maison : on rencontre un pan vivant de l’histoire trifluvienne. Plongeons maintenant dans les grandes étapes qui ont façonné ce lieu emblématique, depuis ses origines en Nouvelle-France jusqu’à son rôle actuel au cœur de la vie culturelle trifluvienne.
Le fief de Niverville
C’est en 1646, un peu plus d’une décennie après la fondation de Trois-Rivières, que débute l’histoire du fief de Niverville. Le commandant de Trois-Rivières, François de Champflour, reçoit alors une terre de 35 à 40 arpents, située au nord-ouest du bourg.
Cette parcelle de terrain, qui se trouve dans l’actuel centre-ville, fait partie des 90 arpents concédés à titre de fief et de seigneurie à Jacques LeNeuf de la Potherie en 1660. Vers 1668, il y construit une première maison, en plus d’une boulangerie, d’une grange, d’une étable, d’une cour et d’un jardin. Encore aujourd’hui, ce sont les fondations de cette maison qui soutiennent le manoir de la rue Bonaventure.
En 1729, François Chastelain, officier des Compagnies franches de la Marine et seigneur de Sainte-Marguerite, fait l’acquisition du fief.
Une histoire de famille
À sa mort, en 1761, François Chastelain lègue la maison à sa fille Marie-Josephte. Toutefois, à l’époque, les femmes n’ont pas droit à la propriété. Le manoir revient donc à son mari Joseph-Claude Boucher de Niverville et prend le nom qu’on lui connaît aujourd’hui.
Né à Chambly en 1715, Joseph-Claude Boucher de Niverville mène une brillante carrière militaire. Il est entre autres nommé juge de paix, colonel du bataillon de milice de la ville de Trois-Rivières, et surintendant des Affaires indiennes du district de Trois-Rivières.
C’est en 1757 qu’il épouse Marie-Josephte Chastelain, avec laquelle il aura 11 enfants.
En 1761, il s’embarque pour la France où il reçoit la croix de Saint-Louis, plus haute distinction militaire remise en main propre par le roi de France. Malheureusement, le sort qu’on y réserve aux officiers canadiens le déçoit et il revient s’installer à Trois-Rivières en novembre 1763.
Témoin privilégié des régimes français et anglais, Joseph-Claude Boucher de Niverville est mis à la retraite en juin 1803, ce qui fait de lui l’un des officiers canadiens ayant connu la plus longue carrière au XVIIIe siècle.
Il s’éteint l’année suivante, en 1804, à 89 ans, un âge plutôt exceptionnel pour l’époque. Après son décès, la propriété demeure aux mains de la famille pendant une quarantaine d’années. Les derniers propriétaires sont Louis-Charles Boucher de Niverville, avocat, député provincial et maire de Trois-Rivières, et sa femme, Éliza Lafond.
Un joyau d’architecture
Classé immeuble patrimonial en 1960, le manoir est la plus vieille maison de Trois-Rivières. La charpente, l’une des plus anciennes en Amérique du Nord, de même que les pierres des foyers, les fondations et une partie de la quincaillerie sont tous des éléments d’origine.
La première maison, bâtie par Jacques LeNeuf de la Potherie, est construite en colombage et comporte trois étages. En 1729, François Châtelain supprime un étage et ajoute des murs de pierres. En 1767, Joseph-Claude Boucher de Niverville effectue un léger agrandissement.
Avec son toit à quatre versants, le Manoir Boucher de Niverville est représentatif de l’architecture coloniale française. Ce courant se caractérise par un corps de logis rectangulaire situé près du sol, des fondations en pierre peu profondes, des cheminées massives en brique et en pierre, parfois disposées en chicane, une composition de façade asymétrique, des ouvertures peu nombreuses, des fenêtres à double battant à petits carreaux, des volets fonctionnels, et peu ou pas de lucarnes.
Un cachet renouvelé
Le manoir échappe à la démolition lorsqu’il est racheté par le Comité du troisième centenaire de Trois-Rivières en 1940. Onze ans plus tard, la Ville de Trois-Rivières fait l’acquisition du bâtiment, classé monument historique par le gouvernement du Québec en 1960.
En 1972, le ministère des Affaires culturelles du Québec offre une cure de jeunesse au bâtiment en le restaurant d’après les plans de 1767. On mène des fouilles archéologiques en même temps que les travaux afin de mieux comprendre l’occupation du site et les méthodes de construction.
Ces importantes restaurations, qui redonnent au manoir son cachet ancien et certains éléments disparus, en font un bâtiment à forte dimension historique, patrimoniale et éducative.
Une maison, plusieurs vocations
Après l’ère des Boucher, le manoir connaît de nombreuses vocations. Au XXe siècle, les nombreux enfants de la famille Martel animent l’endroit, qui accueille aussi une petite école tenue par Annette Gauthier-Dupuis (1930-1940), ainsi que le comptoir d’artisanat L’Araignée d’Or, qui appartient à Albert Olivier (1941).
En 1951, le bâtiment est racheté par la Ville de Trois-Rivières qui y installe la Chambre de commerce. On y trouve aussi le bureau de tourisme durant la deuxième moitié du XXe siècle.
Par la suite, en 2009, le Manoir Boucher de Niverville prend sa vocation actuelle, lorsque la Ville y aménage un lieu d’interprétation d’histoire animé par Culture Trois-Rivières. L’année 2018 marque le 350e anniversaire du plus ancien manoir de Trois-Rivières.
Un Manoir au rythme de la culture
Le Manoir Boucher de Niverville ne se contente pas de préserver la mémoire : il l’anime, la partage et l’actualise. Véritable lieu de diffusion culturelle au cœur du centre-ville, il accueille une programmation estivale riche et sensible, incluant des soirées de contes, des animations d’époque, des ateliers créatifs… et une sélection d’expositions temporaires qui ouvrent des fenêtres sur notre passé comme sur notre présent. Comme le musée Boréalis, le Manoir devient un espace vivant où l’histoire se vit au quotidien.
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Article rédigé par Marjolaine Arcand.