Robert de Lonvilliers: premier commandant de Trois-Rivières Par Alain Gervais
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Robert de Lonvilliers: premier commandant de Trois-Rivières Par Alain Gervais

Depuis plusieurs années Boréalis, en collaboration avec les Bibliothèques, propose aux citoyens des conférences ayant pour sujet l’histoire de Trois-Rivières et du Québec. Cet article de blogue est tiré d’une de ces conférences.

Il est convenu depuis longtemps que Monsieur de La Violette est considéré être le fondateur de Trois-Rivières en 1634.  Cette idée repose sur le Catalogue des Trépassez et des Baptisés, un manuscrit reconstituant les tout premiers actes de l’état civil de Trois-Rivières, compilés autour de 1638.  Il contient un court préambule décrivant succinctement la fondation de Trois-Rivières, le 4 juillet 1634, description rare pour un document d’état civil.  Ce texte figure sur l’une des faces du monument de Laviolette, au centre-ville.

Peu de sources connues contemporaines à la fondation de Trois-Rivières traitent directement de cette fondation.  Et aucune de ces sources, autre que le Catalogue, ne fait référence à Monsieur de La Violette.  Tout ce qui a pu être écrit sur lui, hypothèses, suppositions, affirmations, découle exclusivement du Catalogue ou ne repose sur rien de réellement pertinent, et ce depuis que l’historien Jean-Baptiste-Antoine Ferland (1805-1865) a reconnu La Violette comme le fondateur de Trois-Rivières en rendant publique la chose[1].

Le Catalogue permet aussi de montrer que La Violette a été le premier commandant du fort, ce de 1634 à 1636.  Durant cette période, il est demeuré en Nouvelle-France sans interruption.

Un document d’archives inconnu des historiens canadiens et nommant explicitement le commandant du fort de Trois-Rivières en 1635, a été trouvé aux Archives nationales de France.  Ainsi, Christophe de Lonvilliers, seigneur de Poincy (1576-c. 1650) près de Meaux en Brie Champenoise et issu de la noblesse d’épée, fait une déclaration sur ses états de service militaire et sur la situation de ses enfants, sept fils et trois filles[2].  Pour son second fils, Robert de Lonvilliers (c. 1613-1666), Christophe de Lonvilliers indique :

« Le second sappelle Robert de Lonvilliers aage de vingt ung an ou environ apresent cappitaine de la forteresse et habitation des trois rivieres faisant le grand fleuve saint laurens en la france anthartique  dite canadas soubz Monsieur de Champlin Lieutenant general pour le Roy audit païs de Canadas […]».

Les déclarations de Christophe de Lonvilliers pour trois autres de ses fils ont pu être vérifiées.  Il appert alors que ce document est crédible.  Il n’y a donc pas lieu de douter de la réalité de la charge de Robert de Lonvilliers en tant que capitaine de la forteresse et habitation des Trois-Rivières en 1635.

On peut se demander pourquoi Robert, ce noble qui n’est pas encore majeur lorsqu’il devient commandant, s’est retrouvé à Trois-Rivières.  En fait, c’est son oncle, le commandeur Philippe de Lonvilliers de Poincy (c. 1584-1660), chevalier de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem devenu plus tard l’Ordre de Malte, qui est vraisemblablement derrière cette nomination.  Cet homme complexe, une figure importante du XVIIe siècle, est depuis décembre 1632 un des associés de la Compagnie de la Nouvelle-France, laquelle s’était vu offrir par le roi, en 1627, des privilèges commerciaux en ces terres contre des engagements au chapitre de la colonisation.

Robert restera attaché à son oncle toute sa vie.  Le commandeur de Poincy aurait de même fait nommer Henry, un autre de ses neveux, aussi fils de Christophe de Lonvilliers, commandant du fort de Sainte-Marie de Grâce.  Ce fort, détruit dans les années 1650, est situé à La Hève, en Acadie (aujourd’hui La Have, en Nouvelle-Écosse).  Et enfin un dernier neveu, Philippe, accompagne son frère Henry en qualité de soldat.

Robert de Lonvilliers sera toute sa vie attaché  à cet oncle, qui lui a fait mener une vie digne des romans de cape et d’épée, loin de celle d’un paisible seigneur jouissant de ses fiefs.  Ainsi, c’est vraisemblablement lui qui, en 1632, accompagnant son oncle le commandeur de Poincy,  est envoyé par celui-ci avec quatorze hommes de guerre pour combattre des pirates qui attaquaient un flibot flamand au large de Saint-Malo.  Selon le récit rapporté par un journal de l’époque, trente pirates sont tués et leur capitaine est blessé d’un coup de mousquet à l’épaule avant de prendre la fuite.

Après la fin de son commandement à Trois-Rivières en 1636, Robert de Lonvilliers retourne en France et devient capitaine d’un navire de 100 tonneaux, la Réale, faisant partie de l’escadre de Bretagne.  Il participe ensuite, sous les ordres du commandeur de Poincy, à la bataille des îles Lérins qui se déroule au printemps 1637.   Lors des engagements, Robert aurait montré des marques de son courage[3].

Le commandeur de Poincy est par la suite nommé par le roi, en 1638, lieutenant général aux Antilles.  Robert l’accompagne lorsqu’il s’y rend, au début de l’année suivante, pour occuper son poste.  À leur arrivée aux Antilles, on note que Robert acquiert des propriétés sur l’île Saint-Christophe au nom de son oncle et d’autres pour lui-même.  Pour le reste de sa vie, Robert de Lonvilliers sera lié à cette île.

En 1644, il appert que le second mandat de lieutenant général du commandeur de Poincy arrive à échéance.  Celui-ci nomme alors son neveu, Robert de Lonvilliers, gouverneur général de l’île Saint-Christophe, pour trois ans à compter du premier janvier 1645.  Et il l’envoie à Paris pour assurer ses arrières vis-à-vis son éventuel remplacement.  En France, Robert est confirmé comme gouverneur général et se met à intriguer pour son oncle.  Malgré cela, un nouveau lieutenant général est nommé, Noël Patrocle de Thoisy (…-1671).  Le commandeur de Poincy se révolte et empêche son remplaçant d’aborder l’île Saint-Christophe.  Une guerre civile éclate, durant laquelle Robert de Lonvilliers est pris et retenu prisonnier à la Guadeloupe pendant une année.  Enfin, Monsieur de Thoisy est lui-même capturé, ce qui met un terme aux hostilités.  Robert est libéré et le commandeur de Poincy restera lieutenant général jusqu’à son décès, en 1660.

Robert de Lonvilliers est nommé par son oncle gouverneur de l’île Saint-Martin en 1648 et lui demande de prendre possession de l’île, alors occupée par des alliés hollandais.  Robert négocie avec eux un traité, signé le 23 mars 1648, séparant l’île entre Français et Hollandais.  C’est le traité de Concordia, resté en vigueur jusqu’en 2023 alors qu’il sera renouvelé par les deux pays concernés.

C’est à l’occasion de la deuxième guerre anglo-néerlandaise (1665 à 1667) que Robert de Lonvilliers trouve la mort, alors que le conflit s’est étendu aux Antilles.  Il est blessé sérieusement au genou lors de la bataille finale qui allait donner la victoire aux Français de l’île Saint-Christophe (20 avril 1666).  Il décède une trentaine de jours après la bataille, soit autour du 20 mai 1666.

Un mystère persiste dans cette histoire.  Il reste à expliquer pourquoi Robert de Lonvilliers, le premier commandant de Trois-Rivières, a été appelé Monsieur de La Violette dans le Catalogue des Trépassez et des Baptisés.  La recherche est ouverte à tous et l’auteur vous y convie.

Rédigé par Alain Gervais

Références bibliographiques

[1] Ferland (1861), page 270.

[2] Archives nationales de France (ANF).  MC/ET/XCVI/285/B, pièce 59.  Déclaration de Christophe de Lonvilliers énumérant ses services militaires et relatant la situation actuelle de ses sept fils et de ses trois filles. 1635, 13 avril (expédition).

[3] Du Tertre (1671) 3 (tome 4), page 37.

  • Du Tertre, Jean-Baptiste (1671). Histoire générale des Antilles habitées par les François (tome 3).  Paris: Thomas Jolly.
  • Ferland, Jean-Baptiste-Antoine (1861). Cours d’histoire du Canada, première partie.  Québec : Augustin Coté.
  • Gervais, Alain (2025). Sur la piste de La Violette, Robert de Lonvilliers, Premier commandant de Trois-Rivières (1634-1636).  Québec : GID.
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